Ferroutage en France : pour quelle raison n’est-il pas développé ?

Deux mille camions s’élançant chaque jour sur l’A9, ce n’est pas juste une image de la logistique moderne : c’est un ruban d’acier et de bitume saturé de gaz d’échappement, un défi lancé à la patience des routiers et à la planète. Pendant ce temps, les rails voisins attendent, disposés à redessiner la carte du transport, mais condamnés à l’attente. Les promesses d’une transition plus respirable semblent à portée de main, mais restent lettre morte.

Pourquoi la France, pays du TGV triomphant, n’a-t-elle jamais vraiment embarqué ses camions sur des trains ? Entre inertie politique, choix économiques discutables et ambitions à géométrie variable, le ferroutage piétine. Ce paradoxe persiste, malgré la pression écologique et l’exemple suisse ou autrichien qui crève l’écran. Faut-il parler d’énigme nationale ou simplement d’un manque de courage dans les choix de société ?

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Un potentiel sous-exploité : le ferroutage en France face à ses promesses

Le ferroutage en France fait figure d’éternelle promesse pour une transition écologique crédible et une logistique plus propre. Imaginer une part significative des marchandises basculer de la route vers le transport ferroviaire, c’est espérer réduire drastiquement CO2 et gaz à effet de serre. Pourtant, le fret ferroviaire plafonne autour de 9 % en France, là où la moyenne européenne grimpe à 18 %. Le retard français n’est plus une anecdote, mais un symptôme.

Sur le papier, le réseau ferré hexagonal a de quoi faire pâlir d’envie. Dans la réalité, il reste sous-exploité pour le transport multimodal. Des axes comme l’autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg ou la ligne alpine vers l’Italie font figure de démonstration, mais peinent à essaimer. Les professionnels du secteur dressent un constat récurrent : infrastructures inadaptées, horaires mal arrimés aux réalités de la supply chain, manque criant de plateformes spécialisées.

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  • Manque de terminaux adaptés : la France accuse un vrai retard en matière de plates-formes route rail comparée à l’Allemagne ou à la Suisse.
  • Concurrence du transport routier : la flexibilité et les tarifs du camion continuent à étouffer le report modal vers le rail.
  • Investissements insuffisants : la modernisation et la création de nouvelles lignes stagnent.

L’enjeu n’est pas qu’une affaire de rails ou de wagons. C’est avant tout une question de choix collectif, du type de société que nous voulons bâtir. Tant que le ferroutage restera au second plan, il manquera à la France une pièce maîtresse de la nouvelle logistique européenne.

Pourquoi le modèle français peine-t-il à décoller ?

Le ferroutage en France se heurte à une série d’obstacles, à la fois anciens et actuels. Les grands axes du réseau ferré sont saturés, les lignes dédiées au fret SNCF rares et souvent vieillissantes. S’ajoutent des péages ferroviaires qui pèsent lourd dans la balance, rendant le rail peu concurrentiel face au transport routier.

Autre talon d’Achille : la qualité de service. Grèves à répétition, retards chroniques, ruptures de charge imprévues, la fiabilité du rail laisse à désirer. Face à cette imprévisibilité, le camion tire son épingle du jeu grâce à une adaptation instantanée et une capillarité que le train peine à égaler.

  • Accessibilité limitée : la France présente un déficit de terminaux route-rail face à ses voisins.
  • Lignes en retard : des projets phares comme la liaison Lyon-Turin ou le contournement Nîmes-Montpellier s’enlisent ou avancent au ralenti.

Le fret ferroviaire paie aussi l’absence d’un vrai soutien politique. Les déclarations d’intention s’enchaînent, mais les actes concrets se font attendre. Résultat : les entreprises préfèrent le bitume, faute d’un signal fort pour engager la bascule vers le rail.

Enjeux économiques, politiques et logistiques : un système freiné à plusieurs niveaux

La réalité du marché du transport en France est sans appel : le routier s’adjuge 88 % du trafic intérieur, tandis que le fret ferroviaire reste cantonné à moins de 10 %. Ce déséquilibre ne doit rien au hasard. Il traduit la domination du camion, mais aussi les blocages techniques et financiers du rail. Les investissements dans le ferroviaire peinent à suivre le rythme des annonces, et le fameux plan de relance du fret ferroviaire de 2020 n’a pas encore changé la donne.

L’Allemagne et la Suisse, elles, ont pris le pari du transport combiné rail-route avec des plans publics ambitieux et des moyens à la hauteur. En France, les subventions publiques restent modestes, malgré les ambitions affichées lors du Grenelle de l’environnement et du Green Deal européen.

  • Péages ferroviaires : plus élevés qu’en Allemagne, ils minent la compétitivité du rail français.
  • Fiabilité et flexibilité : le secteur cumule imprévus, travaux à rallonge et manque d’agilité face aux fluctuations du marché.

Sur le plan politique, le débat reste animé mais peu suivi d’effets. Des personnalités comme Karima Delli ou Barbara Pompili poussent pour le rail, les syndicats – CGT Cheminot en tête – dénoncent le sous-financement, tandis que des experts comme Laetitia Dablanc appellent à une approche européenne. Reste à savoir quand la parole se transformera en action.

Le résultat ? Une transition écologique française qui patine, pendant que les voisins accélèrent sur la voie de la mutation logistique. L’avenir n’attend pas.

transport routier

Des pistes concrètes pour relancer le ferroutage sur le territoire

Pour que le ferroutage sorte enfin du bois, plusieurs leviers s’imposent. D’abord, il faudrait s’attaquer de front aux péages ferroviaires trop élevés qui grèvent la compétitivité du fret ferroviaire. Injecter des subventions publiques à la hauteur et instaurer une écotaxe sur les poids lourds remettrait un peu d’équilibre dans la balance logistique.

La planification logistique doit aussi changer d’échelle : multiplier les terminaux multimodaux accessibles, remettre à neuf les infrastructures, simplifier l’accès aux installations terminales embranchées (ITE). Sur le terrain, il s’agit de garantir fiabilité et traçabilité, là où la route règne depuis trop longtemps.

  • Lancer de nouvelles autoroutes ferroviaires sur des axes stratégiques comme Perpignan-Luxembourg ou Lyon-Turin.
  • Ouvrir le jeu à davantage d’opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) pour diversifier l’offre et stimuler la concurrence.
  • Accélérer les travaux de mise au gabarit pour permettre la circulation de trains plus longs et plus lourds.

La transition écologique ne se décrète pas : elle se construit, exemples concrets à l’appui et engagements tenus. Il ne suffit plus d’aligner les discours : il faut donner envie, chiffres à l’appui, aux chargeurs et entreprises de choisir le rail. Reste à savoir si la France saura saisir le wagon de l’histoire ou préfèrera regarder le train passer.